Analyse de La Rumeur (The Children’s Hour)
William Wyler - 1961
William Wyler - 1961
Attention spoilers !
Où, quand, comment
États-Unis, 1960.
Le Code Hays *, encore officiellement en application, s'essouffle sérieusement.
Des personnages gays commencent à conquérir les productions hollywoodiennes.
La Rumeur est le premier film de l'après Code à véritablement prendre l'homosexualité pour thème central. D'autres suivront, mais contrairement à l'Europe, le gay devient l'ennemi public numéro un. Il n'est pas normal. Il est donc puni (voir cet article si vous voulez vous resituer dans le contexte).
On va donc retrouver le méchant gay ou la malheureuse lesbienne dans des films comme Le Renard (Mark Rydell, 1967) ou Le Sergent (John Flynn, 1967).
Aux États-Unis , sans que l'on sache l'expliquer,
on voit beaucoup plus de lesbiennes que de gays au cinéma à cette époque.
|
Une adaptation de la pièce de théâtre Les Innocentes de Lillian Hellman (1934)
La Rumeur (The Children's Hour) est la seconde adaptation de W. Wyler. La version de 1936 ("These Three" ou "Ils étaient trois" pour la version française) n'avait rien de gay : les deux femmes succombaient toutes les deux au charme du beau mâââle. Carrément. Pas très novateur tout ça.
Bien que la version de 1961 demeure bien plus explicite, certaines scènes furent coupées au montage. Shirley Mc Laine, l'interprète de Martha, explique que les scènes d'intimités torrides ont été supprimées, comme par exemple quand elle repassait les vêtements de Karen (soooo romantic), lui brossait les cheveux (soooo hot !) ou encore lorsqu'elle lui cuisinait des p'tits plats (mon dieu s'en est trop, donnez-moi cette boite de mouchoirs !).
Karen, Joe et Martha tentent de comprendre l'origine de la rumeur...
L'histoire est donc basée sur la simple rumeur d'une relation lesbienne qui engendre problèmes et péripéties. Nous sommes dans un pensionnat privé pour jeunes filles, tenu par Martha et Karen, deux proches amies. Une enfant veut se venger d'une punition qu'elle trouve injuste et fait courir la rumeur qu'elles sont plus que des amies. Sale gosse ! Les familles retirent alors leurs enfants de l'école, la rumeur se répand.
Le film reste très sobrement mis en scène mais les procédés dramatiques fonctionnent sans basculer dans le « too much » ou l'ennui.
Bon alors, rumeur ou pas rumeur ??
Pour ce qui est du traitement du sujet, l'homosexualité (c'est quand même ça qui nous intéresse ici !) il faut attendre la 53e minute du film pour qu'il soit clairement fait allusion à cette fameuse rumeur.
Avant cela, les personnages tournent autour du pot : toutes les fois où ils parlent de la relation entre les deux femmes, deux astuces sont employés dans la mise en scène :
- ou les termes restent vagues, à double sens et n'entrent pas dans les détails. On parle de "sentiments contre-nature", de la "jalousie" de Martha, "ce sont des choses qu'on dit à l'oreille, ça me gêne tout haut" (Mary à sa grand-mère) ...
- ou les conversations se font tout simplement hors-champ et ne sont pas audible pour le spectateur. Il est en effet difficile d'entendre ce qu'une petite fille chuchote à l'oreille de sa mémé ou de percevoir le moindre son derrière une vitre.
Les indices et sous-entendus de la liaison entre les deux femmes.
Exemple de conversation hors-champ : le fameux "coup de la porte"
Jusqu'à cette fameuse 53e minute donc, aucun terme se référant directement ou indirectement à l'homosexualité féminine. Rien. Nada. Le néant total.
À la 52e minute et 48e seconde : le verdict tombe et il est sans appel.
La révélation de "Vous-Savez-Quoi"
Jamais on ne parle ici « d'homosexualité » ou de « lesbianisme ». Les mots semblent tout aussi tabous que "la chose" en elle-même. Des expressions ou des tournures de phrases sous-entendus apparaissent déjà comme profondément osées pour les personnages comme pour les acteurs de l'époque.
Par peur du jugement des autres, Martha et Karen ne sortent plus de chez elles.
La scène qui nous le fait comprendre est d'ailleurs ridicule et manque sérieusement de réalisme. Elles s'apprêtent à sortir et sont sur le palier de la porte (à noter qu'elles hésitaient à sortir redoutant la réaction des gens...) Comme de par hasard, des hommes en voiture s'arrêtent et tentent de les épier comme si elles étaient des monstres de foire... Ils repartent, elles rentrent et n'osent plus sortir.
Elles perdent le procès et leur école est fermée. Leur vie s'écroule à cause de la rumeur. Finalement la petite fille (sale gosse) revient sur ses propos : elle avoue avoir menti. Mais le mal est fait, des questions qu'elles ne s'étaient jamais posées sur l'ambiguïté de leur relation ont germés dans leur esprit...
Quelques minutes avant "la révélation"...
La relation entre Karen et son fiancé Joe est compromise. Tout d'abord, c'est Karen qui va faire douter le spectateur sur ses véritables sentiments. Lors de la conversation avec son fiancé, elle trouve des prétextes peu probables pour justifier leur incompatibilité. Il dit croire en ses propos, mais elle a trop peur que le doute perdure malgré tout. Elle le quitte, il lui assure qu'il reviendra. Elle n'y croit guère.
Karen raconte à Martha ce qu'il vient de se passer. Sauf que là, elle ne lui donne pas la même version (ouh la coquine !). Joe aurait toujours des doutes les concernant et aurait préféré se séparer d'elle.
Suite à ça, Martha craque et avoue ses sentiments à Karen. Ils lui auraient été révélé grâce (ou plutôt à cause si l'on en croit ses propos) à cette fameuse rumeur. Elle refoulait la vérité, à savoir qu'elle a toujours ressentit plus que de l'amitié pour son amie...
Le Coming-out de Martha
Cette scène éveille des sentiments partagés : nous sommes à la fois touché par cet aveu, ce coming-out privé, surtout après avoir constaté tous les tourments que la rumeur de leur liaison a entraînés depuis le début du film. Mais Martha semble morte de honte et de peur (« je me sens mal et sale »). Et effet cela n'annonce pas vraiment l' happy-end espéré...
Alors que Karen réagit bien, retourne la voir pour lui proposer qu'elles emménagent ensemble, Martha ne supporte pas de vivre plus longtemps avec ce fardeau et se pend. Le monstre s'éradique tout seul.
Le détail qui tue (ahah !) de la fin
Karen se rend à l'enterrement de Martha. Joe y est présent. On craint à cet instant une éventuelle reformation du couple. Heureusement, les scénaristes ne sont pas allés jusque là et Karen part, la tête haute, sans même jeter un regard à son ex-fiancé, Joe. La réciprocité de l'amour entre les deux femmes ne fait alors aucun doute.
Karen se rend à l'enterrement de Martha. Joe y est présent. On craint à cet instant une éventuelle reformation du couple. Heureusement, les scénaristes ne sont pas allés jusque là et Karen part, la tête haute, sans même jeter un regard à son ex-fiancé, Joe. La réciprocité de l'amour entre les deux femmes ne fait alors aucun doute.
Joe regarde avec espoir Karen partir du cimetière.
Karen regarde le ciel, l'ombre d'un sourire aux lèvres.
Karen regarde le ciel, l'ombre d'un sourire aux lèvres.
Moui...
Maigre consolation, mais consolation quand-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire