La représentation des minorités fait partie de l' histoire du cinéma et des médias. Elle est à la fois révélatrice du regard que la société lui porte dans un contexte socio-démographique donné, mais cette représentation influence réciproquement la société sur l'image qu'elle développe envers les minorités qui la composent.
Cette caractéristique permet donc à la représentation et à la perception des minorités d'évoluer et de différer selon les pays et les époques.
Cette caractéristique permet donc à la représentation et à la perception des minorités d'évoluer et de différer selon les pays et les époques.
La sublime Marlène Dietrich dans Morocco (Josef von Sternberg, 1930)
Je vais donc tenter ici de faire une petite rétrospective des représentations homosexuelles et plus particulièrement lesbiennes aux États-Unis et en Europe (les productions des autres pays demeurent en effet beaucoup plus pauvres sur le sujet. Ils pourront toutefois faire l'objet d'un autre dossier ultérieurement).
Les différentes phases de légitimation de la représentation homosexuelle dans l'histoire du cinéma.
Au tout début du cinéma, dans les films muets noir et blanc, le personnage gay n'existe que pour l'effet comique qu'il apporte. À chaque époque son humour que voulez-vous.
- Mort de rire, ce personnage à vraiment l'air d'une tafiole, c'est trop drôle !
Un jeu sur les clichés se développe, avec notamment la naissance du personnage de la tapette (« Faggot »). Le gay est là parce qu'il est marrant, parce qu'on le repère à 10km dans le brouillard avec sa gestuelle maniérée à outrance hyper-stéréotypée.
Mais attention, il ne doit jamais déclarer ouvertement qu'il préfère les hommes, non non non. C'est une sorte de bouffon du roi asexué qui ne doit en aucun cas porter atteinte à l'image de la virilité des hommes, des vrais.
1919
Sortie de Anders als die Andern (Différent des autres) réalisé par Richard Oswald. Il est considéré comme l'un des premiers films à présenter l'homosexualité favorablement et dénonce le paragraphe 175. Le film fût rapidement censuré et les copies furent dans leur majorité détruites.
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Par la suite, le personnage gay ou lesbien est introduit à travers des sous-entendus et des allusions décryptables par le public visé et concerné (le "subtexts"). Cette double lecture permet de transgresser le tabou sans risque de censure.
[ Cette pratique fût particulièrement adoptée avec le principe d'auto-censure du Code Hays*.]
Les deux hommes parlent du meurtre qu'ils viennent de commettre.
Philip vient de demander à John ce qu'il avait ressenti...
Philip vient de demander à John ce qu'il avait ressenti...
Exemple de sous-entendu "subtil" dans La Corde d'Alfred Hitchcock.
Dans Certains l'aiment chaud, La corde, Morocco, La Reine Chritine, La fille de Dracula, Rebecca... des personnages ambigus sont mis en scène. Les censeurs étaient bien souvent trop crétins pour comprendre les situations ou les personnages gays et lesbiens trop subtilement représentés. C'est ainsi que bon nombre de films purent être diffusés, alors qu'ils étaient truffés d'allusions tout à fait entendues par le public.
Extrait de La Fille de Dracula (Dracula's Daughter) de Lambert Hillyer, 1936.
Même dans des séries récentes comme Buffy contre les vampires ou Xena, Princesse guerrière, les scénaristes et réalisateurs avancent encore très prudemment quand ils abordent la sexualité de leurs personnages. En effet, suite à l'effondrement de la série Ellen (qui arriva étrangement peu après le coming-out de son personnage et de la réalisatrice), les scénaristes restent frileux quand ils doivent mettre en scène des personnages "à la sexualité hors-norme" (années 90). On peut se demander qui sont les vrais tafioles dans tout ça... |
Buffy contre les Vampires : un exemple parlant de censure par le doublage :
« C'est moi en vampire. Je suis si méchante et moche. Et un peu lesbienne sur les bords. »
La version française a légèrement édulcoré ce passage qui devient :
« C'est moi en vampire. Je suis mauvaise et pas nette. Je crois que j'ai des moeurs douteuses ! »
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Dans les années 40, un cinéma indépendant se développe. Il permet aux gays et lesbiens de mettre en scène des représentations d'eux-mêmes et de leurs milieux dans une liberté que les studios ne leur permettent pas. Inconvénient : niveau diffusion, tout ça reste très underground et n'est pas accessible à la populace...
À la fin du Code Hays (années 60), les tabous sont levés.
- Houra ! Tout le monde s'aime enfin et accepte la différence ! Tous à poils !!!!
- Ah ah nous en sommes hélas bien loin mon jeune ami, tous les pinioufs de l'époque ne sont pas des hippies, loin de là...
- Ah ah nous en sommes hélas bien loin mon jeune ami, tous les pinioufs de l'époque ne sont pas des hippies, loin de là...
Les réalisateurs font des films qui parlent de l'homosexualité et des homosexuels. Certes.
Les personnages gays ou lesbiens prennent une plus grande part à l'intrigue jusqu'à parfois même devenir les héros de l'histoire. Re-certes.
Les personnages gays ou lesbiens prennent une plus grande part à l'intrigue jusqu'à parfois même devenir les héros de l'histoire. Re-certes.
Cependant, ce n'est pas vraiment pour aduler ou même, soyons fous, respecter le mec aimant les mecs ou la nana aimant les nanas. Ils incarnent tout simplement les rôles des méchants, représentés comme des vilains aux déviances sexuelles condamnables.
Épris d'un incroyable élan de bonté, les cinéastes et scénaristes offrent généralement au protagoniste le choix entre deux options :
a. La prison
b. La mort
(mmh, que de perspectives réjouissantes, le choix est vraiment peu aisé !)
b. La mort
(mmh, que de perspectives réjouissantes, le choix est vraiment peu aisé !)
Le suicide fait d'ailleurs partie des solutions les plus populaires et mieux vu pour expier très efficacement son péché.
Quel que soit la solution adoptée, le bougre (ou la bougresse) est malheureux, rejeté, incompris et parfois même maltraité. Et oui, la souffrance avant la mort est une étape nécessaire à une rédemption parfaite.
Affiche de Femmes en cage (Caged!)
de John Cromwell, 1950
> Un autre petit exemple parmi d'autres : Analyse de La Rumeur (The Children's Hour, William Wyler, 1961)
En 1982, Making Love, produit par la Twentieth Century Fox, montre une histoire d'amour entre deux hommes.
- DEUX HOMMES ??
- Oui deux hommes, deux individus mâles, deux personnes du même sexe, deux pinioufs pourvus d'attributs sexuels masculins !!
- Ah oui. Ma foi... c'est original mais pourquoi pas ! (réaction espérée)
- Quelle horreur, FUYOOONS, c'est sans doute contagieux !!!! (réaction observée)
Carton d'avertissement avant le début du film
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TRADUCTION :
La Twentieth Century Fox est fière de présenter
un des films les plus honnêtes et sans concessions
que nous n'ayons jamais fait.
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Making Love est le portrait sensible d'une jeune femme
qui apprend que son mari traverse une crise d'identité.
Making Love aborde un sujet délicat.
Il n'y a rien de sexuellement explicite.
Mais cela peut-être choquant pour certain.
Making Love est un film osé.
Nous sommes fières de son honnêteté.
Nous applaudissons son courage.
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Lorsque les deux hommes OSENT faire ça (quelle idée ont-ils eu ces fous), c'est-à-dire osent se montrer des gestes de douceur (oui j'ai bien dit de douceur !) en s'enlaçant et en s'embrassant pour la première fois, les spectateurs, scandalisés, quitteront la salle.
La bonne nouvelle, c'est que le film a réussi à sortir en salle même s'il en a choqué plus d'un. L'autre bonne nouvelle, c'est que suite à tout ça de plus en plus de films mettant en scène des personnages principaux gays ou lesbiens confrontés à leur sexualité sont réalisés.
La transgression de la normalité constitue le sujet central (années 90, début 2000).
- P'pa, m'man, je suis lesbienne.
- ...
- P'pa, m'man ?
- Pourquoi tu nous fais ça à nous ???!!
Souvent, les personnages sont confrontés à leurs désirs, aux autres personnages et à eux-mêmes. Les personnages gays et lesbiens restent cependant fondés sur des stéréotypes et n'ont bien souvent d'existence (scénaristiquement) qu'à travers leur "sexualité hors-norme". Cela reste une bonne chose en soi, une représentation fondée sur un cliché restant mieux qu'une absence de représentation, dans l'absolu.
Ils semblent incarner une sorte de représentant de l'Homosexualité et de la marginalité plus qu'un personnage à part entier. La présence du personnage gay ou lesbien ne semble justifié à l'écran qu'à travers sa sexualité. Tout tourne principalement autour de sa sexualité, de sa relation amoureuse (souvent impossible, toujours difficile) ou de son acceptation par les autres et par lui-même.
Ce sont souvent des films se revendiquant comme des films gays ou lesbiens, fait par et pour les gays ou les lesbiennes. Aussi réussis soient-ils (car il ne s'agit pas ici de leur intérêt ou de leurs qualités intrinsèques), c'est une notion que je trouve intéressante à souligner.
Quelques exemples : Loving Annabelle, Imagine Me and You, Go Fish, I Can't Think Straight, Monster, Boys don't cry...
La représentation des minorités au cinéma semble au fil du temps créer un nouveau "genre" cinématographique qui devient propre à cette minorité (exemples : cinéma "beur", cinéma "catholique", cinéma "gay et lesbien"...). Cela devient une sorte de genre annexe qui englobe toutes sortes de Genres (du film policier à la comédie musicale en passant par les films d'auteurs) utilisé par et pour les minorités concernées.
- Fin années 2000 - années 2010 et plus (enfin je l'espère) -
Le thème de l'homosexualité ne se suffit plus à lui-même pour constituer le thème central de l'histoire.
- Et si le personnage de Bruce Willis était gay ? Ce serait bien plus intéressant pour l'intrigue, nous pourrions jouer avec l'ambiguïté de la relation qu'il entretient avec Josh Harnett, son meilleur ami bisexuel !
- C'est une idée génialissime, on commence le tournage dès demain !
Il est alors nécessaire que la base de l'histoire ne soit plus le personnage homosexuel ou la relation homosexuelle, mais qu'elle soit source d'apports et trouve sa justification au sein du scénario.
La relation homosexuelle nourrit alors l'intrigue, l'enrichis, mais n'apparaît être LE sujet noyau du film. Dans cette optique, la même histoire trouverait un sens avec une relation hétérosexuelle mais perdrait de sa richesse et de son impact (exemple : Bloomington ).
À seulement 13 minutes du début du film, premier baiser entre Jackie et sa prof Catherine.
(Bloomington, Fernanda Cardoso, 2010)
Attention, je ne suis pas en train d'insinuer que la relation ou les personnages sont relégués au second plan. Simplement étant à présent perçue comme une relation aussi légitime et valable qu'une autre, il ne serait plus utile de faire tourner l'intrigue autour du rejet, du jugement des autres, de l'acceptation de sa sexualité ou du coming-out par exemple.
Cette dernière étape constitue une hypothèse, une direction vers laquelle la représentation gay et lesbienne pourrait éventuellement aller.
Car comme souligné dans l'introduction, si la mentalité générale d'une société formate notre manière de percevoir et de nous représenter les choses, la représentation que l'on donne à voir de celle-ci à elle aussi un impact sur la manière dont les gens se perçoivent et perçoivent les différences qui la constituent.
Car comme souligné dans l'introduction, si la mentalité générale d'une société formate notre manière de percevoir et de nous représenter les choses, la représentation que l'on donne à voir de celle-ci à elle aussi un impact sur la manière dont les gens se perçoivent et perçoivent les différences qui la constituent.
En guise de conclusion, méditons sur cette citation :
"L'homosexualité ne relève plus de la criminologie, ni même de la pathologie
mais du droit commun de l'amour libéré."
"L'homosexualité ne relève plus de la criminologie, ni même de la pathologie
mais du droit commun de l'amour libéré."
Guy Delbrouze, Akademos n°7, 15 juillet 1909 (!!!)
Notes inutiles de la rédaction :
Voilà, j'espère que ce nouveau format d'article vous a plu, voir même intéressé et cultivé.
Dans le cas contraire, j'espère au moins que ça ne vous a pas ennuyé.
Bonsoir.
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Cette image est un montage vulgaire illustrant la blague ci-dessus.
- Ne faites pas ça chez vous.
Ne pensez pas qu'il s'agit (ou qu'il s'agira un jour) d'une situation réelle ou fictionellement réelle.
(Bien que cela ne nous regarde pas)
- Ne faites pas ça chez vous.
Ne pensez pas qu'il s'agit (ou qu'il s'agira un jour) d'une situation réelle ou fictionellement réelle.
(Bien que cela ne nous regarde pas)
Sources :
Le documentaire The Celluloid Closet
Le site Univers – L
Le dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse (2003)
Le Blog "C'est la gêne" - Article "Petite anthologie du cinéma de pédé"
"Merci pour ce moment d'histoire de nos histoires aussi singulières qu'elles puissent être."
RépondreSupprimerCommentaire n°1 posté par Elou le 08/10/2011 à 02h38
":)
Merci pour tes commentaires Elou, c'est un plaisir de partager."
Réponse de Shay le 08/10/2011 à 12h16